Club Comelles

Rencontre avec Hugues Le Bret

Publié le 21 mai 2016

 

Hugues Le Bret, invité du Club Comelles

 

Les membres du Club Comelles ont eu la chance de recevoir Hugues Le Bret et d’échanger avec lui sur la gestion de l’affaire Kerviel alors qu’il était DirCom à la Société Générale, sur son aventure entrepreneuriale et sur l’ensemble de son parcours professionnel.
Dorine Bregman , Fondatrice-Présidente de Le Speech Studio, revient sur cette soirée.

 

Hugues Le Bret, aujourd’hui fondateur du Compte Nickel, est ancien journaliste économique, puis a travaillé en agence de communication financière de 1990 à 1999. Il rejoint Daniel Bouton en tant que directeur de la communication de la Société Générale où il est aux manettes de la communication de crise de ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Kerviel ». Après avoir mené le bateau à bon port à travers cette tempête médiatique gravissime, il devient PDG de Boursorama, puis publie son livre « La semaine où Jérôme Kerviel a failli faire sauter le système financier mondial » en 2010, ce qui l’oblige d’une certaine façon à faire un choix de vie, et à démissionner de son poste prestigieux. Il se réinvente en créant avec Ryad Boulanouar le compte Nickel, solution de paiement distribué par les buralistes pour les personnes en exclusion bancaire, mais pas seulement. Avec pour objectif 500 000 clients en 2017 et 5000 distributeurs en 2018, rentable dès l’an prochain, le compte Nickel fait partie de ces innovations de marché dont on se dira un jour « mais comment on faisait avant ? ». De tout cela, et de bien d’autres choses, Hugues Le Bret nous a parlé avec beaucoup de simplicité et sans forfanterie, comme tous les vrais talents.

 

Hugues Le Bret - Club Comelles

Nadine Kerganou (RATP) et Caroline Gillon ( Makheia), membres du Club, avec Hugues Le Bret

 

Retour sur les moments forts de cette soirée

Placée sous la bannière de la responsabilité, la rencontre est partie du constat qu’un dircom a une lourde responsabilité dans l’entreprise pour assurer la cohérence des messages diffusés à l’ensemble de ses parties prenantes. Hugues Le Bret définit pour nous ce qu’il entend par communication responsable d’un groupe comme Société Générale, qui, avec 160 000 collaborateurs, génère en permanence dix fois plus d’informations et de messages. « Le seul sujet pour un dircom, c’est de mettre en cohérence tous ces signaux et de leur donner du sens ». C’est pour cette raison que la communication est stratégique, et doit être un sujet de comité exécutif et de managers.

Quand Hugues rejoint SG en 1999, c’est après avoir déjà géré une crise importante dans la vie de cette banque, l’OPA (ratée) de BNP sur SG. Or, comme le rappelle Hugues, une crise se gère en fonction de ce qu’on a fait les dix années précédentes. Rien ne s’improvise, tout s’organise. Hugues rejoint le comité exécutif de SG et en devient le 2 eme dircom dans l’histoire de la banque. Son job ? Organiser et gérer une usine à fabriquer et à diffuser des contenus. Définir les thèmes de ces contenus en fonction de l’environnement concurrentiel et des projets mis en œuvre : tel est l’axe autour duquel s’organise la communication selon Hugues Le Bret. Il raconte alors comment il a mis en place un comité éditorial du groupe, auquel les principaux managers du groupe (soit 45 personnes qui représentent les 52 business units du groupe) apportent chaque mois au moins trois infos. Et ensuite, ces infos, on les distribue. A qui ? A ses différents publics, ou parties prenantes : collaborateurs, actionnaires, clients, médias…etc. Et puis on s’appuie sur une communauté de 800 ambassadeurs, cadres ou « sherpas » qui relaient ces informations, qui touchent tout le monde par capillarité. Et encore, chacun des 45 personnes membres de différents comités de direction rencontrent 3 journalistes par mois. Le dialogue est permanent avec les médias, le service de presse a un engagement qualité à répondre dans les 2 heures à toute demande de journaliste.

C’est une machine huilée qui tourne bien, et dont la finalité est de nourrir ces valeurs de professionnalisme et de confiance qui rendaient la banque si forte sur ses marchés.

 

Acte 1 – L’affaire Kerviel

Hugues Le Bret, Club Comelles

 

Et puis la catastrophe, l’accident industriel, la méga-crise, celle qui restera comme un cas d’école, qui est encore analysée, disséquée dans les écoles de management, de communication, de journalisme…

On ne revient pas sur tout le déroulement de l’histoire, depuis ce dimanche de janvier 2008 où Hugues Le Bret se rend précipitamment à son bureau, à la demande de Daniel Bouton. Pendant notre rencontre, il insiste surtout sur les enseignements professionnels que l’on peut tirer aujourd’hui. Et oui, une crise ça se prépare, quand bien même on ne sait pas ce qui peut arriver. Hugues montre bien, sans insister, à quel point son « usine de contenus » a tourné à plein régime et a fait la démonstration de sa force en plein milieu de la tempête, quand on fait tous les jours la Une des 20h en TV, l’ouverture de tous les journaux radios, les unes des quotidiens et les couv’ des magazines. Il faut reprendre la main, reprendre le rythme, ne pas se laisser démonter parce que tout ce que l’on avance va être démonté par les autres, être en permanence dans le contradictoire, et surtout desserrer l’étau qui oblige à prendre la parole alors qu’il faut imposer des silences, son silence.

Sur ce plan, un premier exploit inédit, et un risque important a été pris dès le début, quand la décision de la banque a été, en accord avec les autorités de tutelle – Banque de France et Autorité des marchés financiers – de ne pas communiquer avant d’avoir déboucler les positions prises par Jérôme Kerviel, ces fameux 50 milliards. L’objectif était d’éviter un effet systémique sur la finance mondiale, et puis, il fallait comprendre ce qui s’était passé, avoir des explications précises, et pouvoir les communiquer à tous les publics. Il fallait donc gagner du temps. Hugues revient pour nous sur tous les éléments de cette crise majeure : la violence du choc pour les collaborateurs et les dirigeants, l’incompréhension même de l’enchaînement de circonstances qui a pu permettre la fraude, l’intensité du déferlement médiatique, et comment le ralentir, le circonscrire, l’interrompre. Il évoque le rôle du conseil d’administration, en particulier celui d’un acteur-clé, Jean-Martin Folz qui préside le comité des nominations du groupe, et à ce titre, a notamment proposé la création d’un comité d’administrateurs indépendants pour faire toute la transparence sur la fraude. Un acteur clé également pour que la banque puisse résister aux critiques d’un Président de la République en ingérence permanente, n’ayant pas supporté d’avoir été tenu à l’écart de l’information dès le début, et qui aurait peut-être joué un rôle pour soutenir les manœuvres de BNP-Paribas afin de mettre la main sur SG.

Techniquement, la cellule de crise a trois priorités : les collaborateurs, les clients, la recapitalisation. Elle fonctionne H24 pendant 3 mois. Et la priorité de l’interne n’est pas une posture. On le verra en particulier au moment où les collaborateurs eux-mêmes sont descendus dans la rue à la Défense pour protester contre l’image épouvantable donnée de leur entreprise dans les médias et par les politiques, ce fameux jour de conseil d’administration où la tête du PDG, Daniel Bouton, est demandée par la rumeur publique. C’est bien la force de la culture d’entreprise, souligne Hugues Le Bret, qui mobilise tout le corps social, y compris les syndicats, alors même que le professionnalisme était la valeur primordiale du groupe dans toutes ses composantes. Hugues insiste sur l’exaspération des collaborateurs face à la déferlante médiatique et au tribunal de l’opinion.

Mais on se pose aussi d’autres questions : avait-il une conviction personnelle sur ce qui s’est passé ? Comment gère-t-on la situation en tant qu’homme ?

Il n’y avait pas de doute : très vite, la conviction était acquise par Hugues Le Bret que la fraude était l’agissement d’un seul collaborateur, Jérôme Kerviel, qui était parvenu à prendre ses positions en échappant à huit couches de contrôle. C’était un cas isolé, mais il y avait bien eu défaut de contrôle.

Quant à la dimension personnelle de la gestion d’une telle crise, Hugues Le Bret la rapproche de la préparation physique pour le Vendée Globe ! Or, il n’a pas vu un médecin tout de suite, et s’est laissé envahir par un stress extrême. Au bord du burn out, sur le fil du rasoir, on ne peut rien dire à personne dans son entourage, et en plus on se fait incendier dès qu’on voit ses amis, sa famille, qui ne comprennent pas parce que personne ne peut imaginer qu’un groupe comme la SG ait pu laisser passer de telles manœuvres.

Mais Hugues ne perd pas son tempérament analytique : il nous résume la situation en quatre rôles. Le premier, c’est celui de conseil du Président : il le décharge de tous les aspects de la crise qui touchent à la communication, et il en prend la responsabilité. Le deuxième, vis-à-vis de ses collaborateurs : il faut leur donner des objectifs partiels. Le troisième, avec sa famille, on joue la dédramatisation. Enfin face à soi-même : on se retrouve seul, face à ses responsabilités, et face aux comportements de ses collègues, face à la couardise, à la panique, à la trahison.

A ce stade, Hugues a des accents intenses, pour nous décrire la situation dans laquelle le président de ce fleuron de l’industrie financière mondiale se retrouve, effondré, en cure de sommeil pendant trois semaines après des semaines de lutte et de combat. Pour nous faire partager sa conviction que cette affaire n’est pas celle du combat du pot de terre contre le pot de fer, car en France « on n’est pas jugé sur la vérité, on est jugé sur les faits ». Moyennant quoi un « individu mis en cause peut dire n’importe quoi ».

 

Acte 2 – La transition

 

Hugues Le Bret - Club Comelles

 

 

Devenu PDG de Boursorama, la banque en ligne du groupe SG, Hugues Le Bret se trouve face à un dilemme au moment de la publication de son livre. Le choix était-il celui de la vérité, plus forte que le confort et l’envergure sociale d’un poste de PDG ? Pas si simple, pas si noble, de choisir entre son envie de témoigner, de « hurler, d’expliquer, de partager » et la sécurité de son poste. Avoir défendu la SG dans tous les médias, et son ancien dirigeant, cela laisse des traces, même si Hugues Le Bret a l’élégance de passer sur cet aspect avec une grande sobriété. Cela se traduit par l’envie d’une vie différente, de « relancer les dés » et de s’inventer un nouvel avenir. Déjà, quand on écrit un livre, on brise une certaine « omerta », on n’est plus « bankable » dans ce milieu professionnel et on vit ce qu’on appelle une « traversée du désert ».

Quand Hugues Le Bret rencontre Ryad Boulanouar, son futur associé dans Compte Nickel, c’est un homme qui a traversé plusieurs cercles de feu, il est prêt à tenter l’aventure d’un projet qui s’adresse aux exclus débancarisés. Ryad Boulanouar, ancien interdit bancaire, issu d’un milieu modeste et Hugues Le Bret s’attaquent à un sujet mal traité en France, alors que le droit au compte et le service bancaire de base sont une obligation légale. En mode start up, avec une phase d’amorçage de 18 mois, le compte Nickel procure le service que le marché attendait : à peine 30 000 personnes bénéficiaient d’un service bancaire de base dans un établissement financier classique alors qu’il existait plus de deux millions de personnes concernées. Le compte Nickel est à la base une invention technologique : une machine qui édite un RIB sur un terminal de paiement (invention de Ryad Boulanouar) et un process informatique qui permet le paiement en temps réel, sans décalage de « valeur » comme dans l’informatique bancaire classique. Sur ces prémisses, les deux associés construisent leur projet pendant 3 ans. Le compte Nickel se veut ouvert à tous, sans condition de ressources ou évidemment de patrimoine. Il traite tous ses clients sur un pied d’égalité. Le mode de fonctionnement est simple, d’ailleurs le parcours client a été testé 400 fois et la formulation des tarifs prend 5 lignes. Hugues Le Bret défend l’idée d’une innovation lancée comme un combat, comme un objectif politique, fondé sur des valeurs. C’est une véritable révolution psychologique : on ouvre un compte en 5 mn chez un buraliste pour 20€ et on en sort avec une carte de paiement internationale.

 

Les bonnes fées du compte Nickel

Il a fallu une série de miracles, d’heureuses rencontres pour mettre en place un tel projet :

  • L’accord du président de la confédération des buralistes qui voit dans le compte Nickel un relais de croissance important pour ses ouailles, et décide de faire entrer son syndicat au capital de la startup. Cet accord est essentiel : il va ouvrir les portes de toutes les représentations départementales des buralistes, et permettre de toucher le terrain.
  • Les centres d’action sociale, la Fondation Abbé Pierre, les offices HLM, tous ces acteurs de terrain adhèrent au projet, le soutiennent, car ils perçoivent immédiatement l’enjeu social et économique du compte Nickel.
  • Et ce qui devait arriver arriva : l’attention des médias, en particulier d’un reportage au 20h de TF1 un dimanche soir, puis une couverture médias impressionnante vont lancer la machine.

Rapidement on atteint les 20 000 comptes ouverts chaque mois, et la carte des ouvertures se superpose à celle de la France du chômage et des difficultés sociales. Alors que 45% des Français ont un niveau de revenu inférieur à 1700€ par mois, et que 40% d’entre eux sont à découvert au moins une fois par trimestre, le compte Nickel leur permet de reprendre le contrôle de leurs finances et de leur consommation. Plutôt que payer des frais bancaires qui peuvent s’élever jusqu’à 80€ par mois, les clients du compte Nickel savent exactement où ils en sont en temps réel, puisqu’aucune dépense n’est possible si le compte n’est pas approvisionné.

Si la cible initiale a bien été touchée par le compte Nickel, cette innovation n’a pas manqué de générer de nouveaux clients, de façon assez surprenante : le compte Nickel est devenu la carte du commerce électronique, plus sûre qu’un compte Paypal, puisqu’aucun paiement ne peut être effectué sans approvisionnement du compte du même montant ; la carte du paiement à l’étranger, pour les mêmes raisons ; la carte affaires également pour des TPE qui vont générer une croissance importante dans les années qui viennent.

« Aujourd’hui, payer, c’est un métier technologique, pas un sujet bancaire » affirme Hugues Le Bret, et c’est aussi un phénomène de société. Un point de vente s’ouvre toutes les 2h, l’objectif de 500 000 clients est en ligne de mire pour 2017 qui sera l’année de la rentabilité.

Et les banques alors ? Comment regardent-elles ce compte Nickel ? Et qui a financé la startup à sa création, qui la finance aujourd’hui ?

L’un des premiers enjeux du projet était bien sûr d’obtenir l’agrément de la banque de France, sans lequel rien ne pouvait se faire – et d’où les trois années de travail pour lancer le projet. Le principal partenaire bancaire est Crédit Mutuel Arkea. Depuis le montage initial, Partech est entré au capital en tant qu’actionnaire individuel, ce qui a grandement contribué à crédibiliser le compte Nickel auprès des investisseurs. Entré dans le réseau des Fintech, l’écosystème des startups de la finance et de la technologie, le compte Nickel a de beaux jours devant lui sous le signe de la disruption et de l’innovation sociale.

 

Hugues Le Bret - Club Comelles

 

 

Dorine Bregman – Le Speech Studio